« Si l’ONU et ses agences se démenaient autant pour le bienfait de l’humanité qu’elles le font pour le monde des affaires, nous pourrions être confiants dans l’avenir. Les multinationales ont pris le pouvoir et mènent le monde. Les dirigeants ne sont que des marionnettes pour les servir et nous endormir. Ils se plient aux impératifs du monde économique et délaissent les vrais problèmes de notre siècle. Antoine Calandra, Janvier 2016.

En mars 2015 est paru le remarquable ouvrage de Peter Gotzsche :

Remèdes mortels et crime organisé : comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé. Presses de l’Université de Laval, 430 pages.

LES MÉDICAMENTS PRESCRITS SUR ORDONNANCE SONT LA TROISIÈME CAUSE DE MORTALITÉ APRÈS LES MALADIES CARDIAQUES ET LES CANCERS.

Dans ce récent ouvrage révolutionnaire, Peter C. Gøtzsche lève le voile sur les comportements frauduleux de l’industrie pharmaceutique dans les domaines de la recherche et de la commercialisation et sur son mépris moralement répugnant pour la vie humaine. L’auteur établit des rapprochements convaincants entre l’industrie pharmaceutique et l’industrie du tabac et révèle l’extraordinaire vérité derrière les efforts déployés pour semer la confusion et détourner l’attention du public et des politiciens. Il s’appuie sur des données probantes et traite de manière détaillée de l’extraordinaire défaillance du système causée par le crime généralisé, la corruption et l’inefficacité de la réglementation pharmaceutique – une réglementation qui, selon lui, doit être radicalement transformée.  » Si nous prenons autant de médicaments, c’est principalement parce que les compagnies pharmaceutiques ne vendent pas des médicaments, mais des mensonges à leur sujet. C’est ce qui fait que les médicaments sont si différents du reste… Tout ce que nous savons sur leur compte, c’est ce que les compagnies ont choisi de nous dire et de dire à nos médecins… Les patients ont confiance dans leurs médicaments parce qu’ils extrapolent la confiance qu’ils ont envers leurs médecins et la reportent sur les remèdes que ces derniers leur prescrivent. Ils ne sont pas conscients que les médecins, s’ils en savent long sur les maladies et la physiologie et la psychologie humaines, en connaissent très, très peu sur les médicaments si ce n’est les informations fabriquées de toutes pièces par l’industrie pharmaceutique… Si vous ne croyez pas que le système est hors de contrôle, je vous invite à m’écrire pour m’expliquer pourquoi les médicaments sont la troisième cause de mortalité… Si une épidémie provoquée par une nouvelle bactérie ou un nouveau virus avait fait autant de victimes – ou si elle avait même causé un centième seulement des décès associés aux effets secondaires des médicaments –, nous aurions tout fait pour la contenir.  »

Le Docteur Richard Smith a préfacé le livre de Peter Gøtzsche

La seule mention du nom de Peter Gøtzsche comme orateur dans un congrès, ou comme collaborateur cité dans la table des matières d’un périodique, suffit à soulever l’enthousiasme d’innombrables personnes. En effet, on peut le comparer au jeune garçon qui voyait bien que l’empereur était nu et qui ne se gênait pas pour le dire. Or, la plupart d’entre nous ne voyons pas la nudité de l’empereur et, dans le cas contraire, n’oserions pas en parler.

Voilà pourquoi nous avons un si grand besoin de gens comme Peter. Avec lui, pas de compromis ni de dissimulation, mais un franc parler assorti de métaphores colorées. L’insistance de Peter à comparer l’industrie pharmaceutique au crime organisé peut certes en déranger plusieurs, mais renoncer à lire le présent ouvrage pour ce motif, ce serait rater l’occasion de comprendre une réalité importante et de s’en indigner.
Peter conclut son livre en racontant que la Société danoise de rhumatologie lui avait demandé de prononcer une conférence sur le thème : La collaboration avec l’industrie pharmaceutique : est-ce si dommageable ?

Le titre était à l’origine La collaboration avec l’industrie pharmaceutique. Est-ce dommageable ? Mais la société l’avait trouvé trop fort. Peter commença sa conférence en énumérant des crimes des commanditaires de la réunion. Roche avait grandi grâce à ses ventes illégales d’héroïne. Abbott avait empêché Peter d’avoir accès à des études non publiées qui montraient qu’une pilule pour maigrir était dangereuse. UCB avait elle aussi caché des données tandis que Pfizer avait menti à la FDA (Food and Drug Administration) puis avait été condamnée aux États-Unis à une amende de 2,3 milliards de dollars pour avoir fait la promotion de l’utilisation hors indications de quatre médicaments. Merck, le dernier commanditaire avait, selon Peter, provoqué le décès de milliers de patients en raison de son comportement malhonnête relativement à un médicament contre l’arthrite.
Une fois son introduction complétée, Peter se lança dans une condamnation de l’industrie.

On peut imaginer se trouver à cette rencontre dont les commanditaires bafouillent de colère et dont les organisateurs marinent dans l’embarras. Peter cite un collègue qui lui aurait dit que son approche aurait peut-être détourné des auditeurs dont l’opinion n’était pas encore faite. Mais la plus grande partie de l’auditoire a été captivée et a compris la légitimité des points soulevés par Peter.
De très nombreuses personnes qui ont soutenu avec enthousiasme la mammographie de routine pour prévenir les décès par cancer du sein, peuvent comprendre la grogne des commanditaires – parce qu’ils ont été eux aussi critiqués par Peter qui a fait paraître un livre décrivant ses expériences relatives à la mammographie. Ce qui me semble particulièrement important, c’est que Peter faisait partie des quelques rares critiques de la mammographie de routine quand il a commencé ses recherches, et qu’en dépit des attaques très intenses dont il a été l’objet, les faits ont fini par lui donner raison.
Il n’avait pas d’opinion arrêtée sur la mammographie quand les autorités du Danemark lui ont demandé de réviser les faits connus, mais il a rapidement conclu que les preuves disponibles étaient de piètre qualité. Sa conclusion générale était que la mammographie de routine pourrait bien sauver des vies, cependant beaucoup moins que ne le prétendaient les promoteurs de cet examen, au prix de plusieurs faux positifs, imposant à des femmes des procédures invasives et inquiétantes sans aucun avantage et le surdiagnostic de cancers inoffensifs.
Les discussions qui ont suivi à propos de la mammographie de routine ont été amères et pleines d’hostilité, mais la perspective de Peter est maintenant devenue ce qu’on pourrait appeler la perspective orthodoxe quant à ce problème. Son livre montre d’une manière détaillée comment des scientifiques ont déformé les faits établis pour mieux soutenir leurs croyances.
Je sais depuis longtemps que la science est pratiquée par des êtres humains qui ne sont pas des robots, ce qui signifie qu’ils restent exposés aux défaillances humaines, mais j’ai été renversé par les propos du livre de Peter sur la mammographie.
Une grande partie du présent ouvrage est également renversante pour des motifs apparentés : on montre comment on peut corrompre la connaissance pour faire avancer certains arguments et comment l’argent, les profits, les emplois et les réputations sont les corrupteurs les plus puissants.

Peter concède que certains médicaments ont procuré de grands avantages.
Il le fait dans une phrase : « Mon livre ne concerne pas les avantages bien connus de médicaments comme les succès rencontrés pour traiter les infections, les maladies cardiaques, certains cancers et les déficiences hormonales comme le diabète de type I. » Certains lecteurs trouveront que c’est insuffisant, mais Peter est très explicite pour dire que le présent ouvrage porte sur les échecs du système au complet de la découverte, de la production, du marketing et de la réglementation des médicaments. Ce n’est pas un livre qui porte sur leurs avantages.
Plusieurs lecteurs se demanderont si Peter n’exagère pas en suggérant que les activités de l’industrie pharmaceutique s’apparentent à celles du crime organisé. Les caractéristiques du crime organisé sont définies dans la loi des États-Unis comme le fait de commettre d’une manière répétée certaines transgressions comprenant l’extorsion, la fraude, le viol d’interdits fédéraux sur les drogues, la corruption, le détournement de fonds, l’obstruction de la justice, l’obstruction dans l’application des lois, l’intimidation des témoins et la corruption politique. Peter fournit des preuves, la plupart fort détaillées, pour soutenir son argument que les compagnies pharmaceutiques sont coupables de la plus grande partie de ces crimes.
Et il n’est pas le premier qui compare l’industrie à la mafia ou à la pègre. Il cite un ancien vice-président de Pfizer qui a déclaré : Il est proprement effrayant de voir les ressemblances de cette industrie avec la pègre. La pègre gagne des quantités d’argent qui sont obscènes, tout comme l’industrie. Les effets secondaires du crime organisé sont des massacres et des assassinats alors que les effets secondaires de l’industrie sont de même nature.
La pègre corrompt les politiciens et d’autres, tout comme le fait l’industrie.… L’industrie est certainement à couteaux tirés avec le ministère de la Justice des États-Unis, en raison des compagnies qui ont payé des milliards en amendes.
Peter décrit en détail les dix plus grandes sociétés, mais il en existe beaucoup d’autres. Il est aussi vrai que ces sociétés ont récidivé sans répit, calculant sans doute qu’il y avait toujours de plantureux profits à récolter en continuant à violer la loi et à payer des amendes. Les amendes peuvent être tenues pour des dépenses « d’affaires », tout comme les coûts du chauffage, de l’éclairage et du loyer.
Bien plus nombreux sont les gens tués par l’industrie que ne le sont ceux qui périssent aux mains de la pègre. En effet, des centaines de milliers de gens sont tués chaque année par les médicaments ordonnancés. D’aucuns pourront penser que c’est inévitable parce que les médicaments sont utilisés pour traiter des maladies qui sont elles-mêmes létales. D’autres objecteront que les avantages des médicaments sont exagérés, souvent en raison de distorsions sérieuses des preuves censées fonder les médicaments, un « crime » qu’on peut raisonnablement imputer à l’industrie.
Le grand médecin William Osler a déjà dit que ce serait bon pour l’humanité mais horrible pour les poissons qu’on jette à la mer tous les médicaments. Il parlait avant que ne survienne la révolution thérapeutique du milieu du XXe siècle ayant donné la pénicilline, d’autres antibiotiques et tant d’autres médicaments efficaces, mais Peter vient tout près de tomber d’accord avec lui en proposant qu’on serait beaucoup mieux sans la plupart des médicaments psychoactifs dont les avantages sont minuscules et les torts considérables, tandis que le volume de leur prescription est colossal.
La plus grande partie du livre de Peter est consacrée à la démonstration du fait que l’industrie pharmaceutique a systématiquement corrompu la connaissance pour exagérer les avantages et minimiser les torts causés par ses médicaments. Comme épidémiologiste doté d’une extraordinaire connaissance en mathématique et d’une passion infatigable pour les détails, Peter est devenu un chef international en critique des études cliniques et se trouve donc sur son terrain de prédilection. Il y retrouve plusieurs autres auteurs, y compris d’anciens chefs de la rédaction du New England Journal of Medicine, pour décrire cette corruption. Il montre aussi comment l’industrie a corrompu des médecins, des universitaires, des périodiques, des organismes de professionnels et de défense des patients, des départements d’universités, des journalistes, des régulateurs et des politiciens.
Ce sont là des méthodes de la pègre.

Le livre ne permet ni aux médecins ni aux universitaires d’éviter le blâme.
En fait, on pourrait soutenir que les sociétés pharmaceutiques font ce qu’on attend d’elles en maximisant le rendement de leurs actionnaires tandis que médecins et universitaires sont censés avoir une autre motivation. Des lois exigeant des sociétés qu’elles déclarent les paiements faits aux médecins montrent que de grandes proportions de médecins sont redevables à l’industrie pharmaceutique, plusieurs recevant des sommes dans les six chiffres, pour conseiller les sociétés ou prononcer des conférences en leur nom. Il est difficile de ne pas conclure que ces « meneurs d’opinion » sont corrompus. Ils sont les tueurs à gages de l’industrie. Et, tout comme c’est le cas pour la pègre, malheur à quiconque lance une alerte ou accepte de témoigner contre l’industrie. Peter raconte plusieurs histoires de lanceurs d’alerte qu’on a harcelés alors que le roman de John Le Carré décrivant la brutalité d’une société pharmaceutique devenait un grand succès qu’on a porté à l’écran.
Il n’est pas fantaisiste de comparer l’industrie pharmaceutique à la pègre et la population, en dépit de son enthousiasme pour la consommation de pilules, entretient du scepticisme à l’encontre de l’industrie pharmaceutique. Dans une enquête d’opinion menée au Danemark, le public a placé l’industrie pharmaceutique à l’avant-dernier rang de celles à qui l’on fait confiance, tandis qu’une enquête d’opinion américaine plaçait l’industrie pharmaceutique au bas de l’échelle en compagnie de l’industrie du tabac et des pétrolières.
Le médecin et auteur, Ben Goldacre, dans son livre Bad Pharma soulève l’observation que ce que les médecins ont fini par tenir pour « normal » dans leurs relations avec l’industrie pharmaceutique deviendra complètement inacceptable pour la population quand elle en comprendra le fin mot de la signification.
En Grande-Bretagne, les médecins pourraient rejoindre les journalistes, les parlementaires et les banquiers dans le déshonneur, pour n’avoir pas su reconnaître la corruption dans laquelle ils se vautrent. Pour le moment, la population fait confiance aux médecins et se méfie des sociétés pharmaceutiques, mais cette confiance pourrait se perdre rapidement.
Le livre de Peter ne porte pas que sur des problèmes. Il propose des solutions dont certaines seront plus facilement appliquées. Il semble très improbable que les sociétés pharmaceutiques soient jamais nationalisées, mais il est probable que toutes les données utilisées pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché deviennent disponibles. Il faut rehausser l’indépendance des autorités de réglementation.
Certains pays pourraient être tentés d’encourager plus d’évaluation des médicaments par des organismes du secteur public, tandis qu’on assiste à un désir croissant de rendre publiques les relations financières liant les sociétés pharmaceutiques aux médecins, aux organismes de professionnels et de patients ainsi qu’aux périodiques médicaux. Il est certain qu’il faut améliorer la gestion des conflits d’intérêts. Il faudra sans doute restreindre encore plus la commercialisation, tandis que l’opposition à la publicité directe aux consommateurs se renforce.
Les critiques de l’industrie pharmaceutique sont plus nombreux, plus respectables et plus impétueux, mais Peter les dépasse tous en comparant l’industrie au crime organisé. J’espère que personne ne se laissera dissuader de lire le présent ouvrage à cause de l’audace de la comparaison et que la franchise de son message va susciter une réforme convenable.

Richard Smith, M. D.
Juin 2013